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Silures et lamproies marines font bien mauvais ménage

19 avril 2023

Les conclusions d’une étude sur la Garonne-Dordogne se confirment en Loire, plus particulièrement sur le bassin de la Vienne : la présence de silures, carnassiers au sommet de la chaîne trophique en eau douce, nuit gravement aux lamproies marines. Présentation et aperçu de l’étude GlanisPomi, publiée en ce mois de mars 2023, avec son coordinateur, Thomas Trancart, docteur en écologie à la station marine de Dinard – Cresco, du Muséum national d’histoire naturelle.

Qui est à l’origine de cette étude ?

L’étude, GlanisPomi, fait suite à une première étude, réalisée en 2020, sous la direction du Muséum national d’histoire naturelle, déjà, sur la lamproie marine dans le bassin de la Vienne. L’étude de 2020 avait été initiée, entre autres, par les pêcheurs professionnels qui avaient relevé, dans l’exercice de leur métier, des signaux alarmants de déclin de la lamproie de la Loire. Cette étude mettait notamment en évidence qu’un grand nombre de lamproies marines stoppaient brusquement leurs migrations sans que la cause puisse en être identifiée. En effet, ces arrêts intervenant hors des zones de reproduction (frayères), il était difficilement imaginable qu’ils soient liés à une reproduction naturelle. Était alors émise l’hypothèse d’un taux de prédation élevé des lamproies marines par les silures sur ce bassin de la Vienne.

Quelles ont été vos approches ?

Nous avons choisi d’avoir une approche multi-disciplinaire, en combinant la télémétrie acoustique – le suivi d’individu en milieu naturel à l’aide d’émetteur – la physiologie respiratoire, c’est-à-dire la mesure du métabolisme via des respiromètres, l’otolithométrie – l’analyses des structures calcifiés des oreilles internes des poissons – la génétique, l’isotopie, c’est-à-dire l’analyses des rapports isotopiques des éléments dans les tissus des poissons, l’écologie des habitats ou encore l’écologie trophique…

Notre approche devait également être multi-échelles, échelles spatiale et temporelle, en analysant des éléments et des données, à des niveaux différents, en partant, pour la dimension spatiale, du bassin versant jusqu’à l’habitat, et pour la dimension temporelle, du cycle de vie d’un individu à ses « activités » quotidiennes.

« Nous avons constitué, dès le début, un consortium réunissant l’ensemble des acteurs en lien avec le silure sur la zone. »

Il fallait également que nos secteurs d’étude abritent des populations conséquentes de poissons migrateurs amphihalins, lamproies, aloses et anguilles surtout, et que les populations de silures y soient considérées comme établies. Enfin, nous voulions des tronçons libres, sans obstacles, s’étendant sur de grandes distances, avec des ouvrages terminaux, barrages hydro-électriques par exemple, à leur extrémité. Le bassin de la Vienne qui regroupe les plus importants flux de lamproies marines, de grandes aloses et d’aloses feintes du bassin de la Loire s’est tout naturellement imposé. Les silures y sont aussi présents en grand nombre. Les secteurs de l’étude s’étendent du confluent de la Vienne et de la Creuse au barrage de Descartes sur la Creuse, et à celui de Châtellerault sur la Vienne.

Le plus difficile quand on travaille sur le silure, c’est de réunir et de fédérer, et de ne surtout pas diviser. Nous avons donc constitué, dès le début, un consortium réunissant l’ensemble des acteurs en lien avec le silure sur la zone, pêcheurs professionnels, pêcheurs de loisir, gestionnaires, exploitants de barrage, associations, scientifiques… C’est lui qui a ainsi construit et validé l’intégralité du protocole, a réalisé les expérimentations sur le terrain, a participé à l’analyses des données et au rapportage final.

Quelles sont vos conclusions ou premières conclusions ? Comment ont-elles été reçues ?

Le rapport final fait quasiment 300 pages, et s’articule autour de neuf chapitres scientifiques, qui feront l’objet chacun d’un article scientifique. Nous avons approfondi nos connaissances sur les modalités d’utilisation par le silure des habitats aquatiques, sur les densités de leurs populations, leurs déplacements, leurs prédations selon leurs tailles…

Mais l’un des résultats majeurs est le taux de prédation des lamproies marines, avant reproduction. Grâce à notre méthode, développée spécifiquement pour cette étude, nous avons démontré que 82 %, au minimum, des lamproies marines étaient prédatées avant d’avoir pu se reproduire, et moins de 72 heures après avoir été relâchées. Mais ce résultat n’est, en fait, pas si étonnant. C’est un taux qui a déjà été observé dans le Sud-Ouest de la France avec les travaux de l’équipe de Frédéric Santoul. L’étude de 2020 sur les lamproies de la Vienne posait clairement l’hypothèse d’un taux de prédation élevé.

Crédit photos ©GlanisPomi

Propos recueillis par